Le secteur du retail a bien compris l’intérêt des nouvelles technologies pour attirer l’attention du consommateur : promotions sur les réseaux sociaux, recommandations fondées sur l’historique d’achat… Des outils qui peuvent aussi être utilisés pour offrir à ce dernier une expérience d’achat augmentée lorsqu’il se rend en magasin. Aujourd’hui les exemples de déploiements innovants sont déjà nombreux. Et demain ? Comment se déroulera le parcours d’un client ? Quels sont les défis que devront relever les acteurs du secteur ? Sana Dubarry et Mathias Schmeer, Digital Advisors chez Microsoft Services, décryptent les tendances émergentes et nous emmènent dans les coulisses du point de vente du futur.

Sana dubarry
Digital Advisors chez Microsoft Services

Mathias Schmeer
Digital Advisors chez Microsoft Services
Demain, quand un client entrera dans un point de vente, lui proposera-t-on directement un casque de réalité mixte ou une tablette ?
Sana Dubarry : Avant de répondre à cette question, il est essentiel de préciser que la technologie doit avant tout servir un objectif business. Elle n’a pas pour finalité de remplacer l’humain en magasin. Les dispositifs de réalité mixte, par exemple, nécessitent une prise en main particulière. On ne peut pas simplement remettre un casque de réalité mixte à un client et penser que la vente va se faire.
Mathias Schmeer : Personnellement, je ne crois pas vraiment au casque utilisé en point de vente. Je ne suis même pas un enthousiaste du téléphone ! Formulée ainsi, cette question suppose que l’expérience client peut être augmentée uniquement à travers un device — qu’il soit tenu dans la main ou porté sur les yeux — et uniquement par le sens visuel. C’est faux.
Certes, nous allons de plus en plus tendre vers une réalité augmentée qui enrichira l’expérience du client. Informations sur la fabrication ou l’empreinte carbone d’un objet, recettes liées à un aliment… Les possibilités sont nombreuses. Cependant, le casque et le téléphone ou la tablette atteindront assez vite leurs limites.
En revanche, les commandes vocales, que nous voyons déjà arriver, vont beaucoup se développer.
Tout simplement parce que quelqu’un qui veut être guidé dans ses achats a besoin de ses mains. Et qu’il n’a pas forcément envie de porter un casque. Nous pouvons imaginer, en revanche, un assistant vocal présent dans notre oreille. Techniquement, c’est déjà possible avec l’écouteur du smartphone mais peu d’applications sont disponibles actuellement.
SD : Ce sont effectivement les applications liées aux technologies qui manquent aujourd’hui. Pour revenir aux tablettes, des expérimentations se font déjà aujourd’hui en caisse pour favoriser la traduction. C’est notamment le cas dans certains points de vente avec de nombreux clients internationaux, comme les magasins de luxe. Le smartphone, lui, est de plus en plus écarté. Comme le disait Mathias, il détourne l’attention du client, qui ne regarde plus ni le produit, ni le conseiller. Au final, il interfère dans la vente.
Quelles sont les tendances qui émergent aujourd’hui et pourraient exploser demain ?
MS : Concernant la distribution, j’en vois deux principales, de natures différentes.
La première est une tendance organisationnelle. Pour des raisons d’accès aux données et pour pouvoir « computer l’information » (par des ordinateurs ou des êtres humains), l’organisation du retail a longtemps été extrêmement centralisée. On observe aujourd’hui un mouvement inverse. On cherche à remettre de la capacité d’ajustement dans le point le plus proche du client, dans les derniers maillons de la chaîne. L’exemple qui émerge déjà est celui du livreur qui envoie un SMS une heure avant la livraison pour confirmer la présence du client.
Les décisions concernant l’assortiment des produits, le déclenchement d’une promotion ou d’un geste commercial ont aussi vocation à revenir au plus près du client, dans le point de vente. D’ailleurs, au niveau du marché français, certains distributeurs indépendants tels qu’Intermarché ou Leclerc ont tendance à mieux s’en sortir maintenant. Pourquoi ? Parce qu’ils sont notamment en avance sur cette question de décisionnel décentralisé.
La deuxième tendance concerne les modèles opérationnels multicanaux. Bientôt, nous pourrons commencer un achat sur notre mobile, le payer sur desktop, aller le chercher en magasin et le retourner dans un point de livraison externe. Mais c’est un scénario qui n’est pas tout à fait disponible aujourd’hui, notamment parce qu’il n’y a encore que très peu de vrais modèles multicanaux. C’est-à-dire des points de vente qui ne sont pas spécialisés dans le brick and mortar ou dans la vente en ligne.
Un exemple que nous pouvons toutefois citer est celui des magasins Hema en Chine. C’est un vrai modèle multicanal : les produits de première nécessité que l’on achète sans réfléchir (eau, essuie-tout..) ne sont plus disponibles en rayon mais commandés par le client en amont. Ainsi toute la surface de vente est focalisée sur les produits want (plutôt que des produits need) et le contact avec les vendeurs. Ce modèle pourra se retrouver dans le textile quand nous aurons fini la bascule vers du vrai showrooming. Il n’y a en effet aucune raison que les magasins textiles continuent à porter autant de stock qu’actuellement.
SD : Aujourd’hui, les distributeurs et les retailers doivent placer le consommateur au centre de leur stratégie. Cela les oblige à revoir leur manière de concevoir leurs opérations. Avant, ils avaient plutôt tendance à réfléchir de manière séquentielle, dans des plans à long terme.
Dans le secteur de la beauté, L’Oréal est une bonne illustration. L’Oréal – qui est à la fois fabricant et distributeur – adopte une approche très servicielle liée au produit, en offrant une ultra-personnalisation. La marque propose ainsi de sélectionner sa crème de soin en fonction du diagnostic du vieillissement de sa peau. Cela nécessite bien sûr de repenser complètement la chaîne d’approvisionnement, la chaîne de fabrication des produits et la relation marque-fournisseur. La particularité de L’Oréal, c’est qu’ils maîtrisent l’ensemble de cet écosystème. Mais, de manière plus globale, les distributeurs et les retailers vont être en relation avec des marques qui, de plus en plus, vont vouloir proposer de l’ultra-personnalisation. Cela nécessite de repenser la relation marque-fournisseur, de travailler en écosystème et de partager des modèles de données communs.
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MD : Autre point important, aujourd’hui les business models des fabricants et des retailers ne sont pas facilement scalables. Le fabricant, par exemple, possède des usines, doit produire et stocker… C’est un modèle avec des coûts variables assez élevés. Il y a une opportunité à passer à des business models qui ont des coûts marginaux plus faibles.
Appliqué au retail, ce modèle plus scalable se traduit par une approche très servicielle. Demain, tous les acteurs vont aller vers des business models davantage liés aux services. Un mouvement qui va bien sûr se traduire de façon très différente entre une enseigne de bricolage et une marque de luxe.
Dans tous les cas, cela aura deux implications. Un glissement du business model comme nous venons de l’évoquer, mais aussi la possibilité de garder une proximité avec les clients dans la durée. Ainsi, les marques seront au contact du client tout au long de l’utilisation d’un produit et non plus uniquement dans la phase d’achat.
Peut-on déjà imaginer à quoi ressemblera le parcours d’un client dans le magasin du futur ?
MS : Il y a un distinguo très fort entre les produits de nécessité (l’alimentaire par exemple) et les produits plaisir (la mode, la beauté, le luxe…).
Dans le cas des produits de nécessité, demain, le client pourra, de chez lui, alimenter très simplement une liste de course « fond de rayon ». Et cela avec des moyens extrêmement simples. Par exemple à l’aide d’une commande vocale, grâce à un appareil qui détecte ce qui reste dans le frigo ou les placards… Mais aussi via des liens avec son calendrier. Des amis viennent dîner vendredi soir ? Une application pourrait proposer une recommandation de menu avec actualisation de la liste de courses. Celle-ci sera vraiment l’objet central, qui pourra être alimenté de manière automatisée.
Dans la distribution, on va sans doute scinder les produit want et need. Les abonnements à la livraison pour les produits de nécessité vont se généraliser. Par exemple, les packs d’eau seront livrés automatiquement sans que l’on ait à se poser la question. Le point de vente alimentaire permettra alors d’acheter des produits frais ou de faire des achats d’impulsion.
En termes d’expérience d’achat, le client aura accès à une multitude d’informations sur le produit, des recommandations additionnelles… Les produits achetés seront automatiquement retirés de sa liste de la manière la plus friction-less possible et le client sera même alerté s’il oublie un article.
SD : Concernant les produits plaisir, les nano-stores seront de plus en plus répandus sur le parcours quotidien des consommateurs. Nous travaillons beaucoup avec des acteurs de l’hôtellerie et des transports. Ces derniers sont en pleine réflexion sur la réorganisation des gares ou des hôtels pour que ces produits soient disponibles au moment où l’on en a envie.
Dans l’univers du luxe, une autre tendance émerge : la location. De plus en plus, les clients vont louer un article plutôt que l’acheter. Ils pourront ainsi en changer en fonction de leurs envies et de leurs besoins. Cela s’inscrit par ailleurs dans une démarche éco-responsable, une autre tendance de fond qui va continuer à se développer dans les circuits d’achat.
Et le passage en caisse ?
MS : On parle beaucoup des formats de paiement par mobile. Mais ces derniers ne diminuent pas la friction finalement. En effet, il faut quand même sortir son téléphone, le tenir à la main…
Or, aujourd’hui, on sait faire du paiement, non pas par reconnaissance mobile, mais par consommation faciale.
On peut ainsi imaginer qu’une caisse fasse une hypothèse sur notre identité à partir de notre présence dans un rayon (en repérant notre téléphone). Celle-ci pourrait ensuite confirmer que notre visage est bien le nôtre et prendre le paiement sur une carte pré-enregistrée à partir d’un geste que nous ferions. Ça, c’est un parcours réellement friction-less. Et ce n’est pas de la science-fiction, on peut le faire avec les briques technologiques qui existent déjà.
On voit émerger de nouveaux partenariats, comme celui entre Starbucks et Uber. Est-ce que cette tendance va se généraliser ?
SD : Effectivement, c’est une absolue nécessité pour satisfaire les clients. Par exemple, pour accueillir les produits augmentés de L’Oréal, les enseignes de la grande distribution, comme Sephora, doivent adapter leurs méthodes de vente. Même si la relation entre Sephora et L’Oréal est à la base commerçante, le partenariat devient essentiel.
Le secteur le plus rapide à porter cette notion de partenariat est celui de l’hôtellerie. Accor Hôtels a compris que proposer des chambres standard unifiées ne suffisait plus. Il faut également imaginer des espaces de coworking, par exemple. Une tendance que l’on observe aussi dans la distribution : certains supermarchés intègrent désormais un espace restauration à l’entrée. La notion de service, qui va de pair avec le partenariat, est centrale dans les nouveaux business models.
Les innovations se bousculent dans le secteur du retail. Quel accompagnement propose Microsoft pour aider les retailers à se réinventer ?
SD : Avant de répondre à cette question, je voudrais vraiment confirmer que le secteur du retail évolue à toute vitesse. Pourquoi ? Parce qu’il possède une richesse extraordinaire : l’accès à la data client. Déjà, lorsque les premières cartes de fidélité ont commencé à émerger, dans les années 80, le but était de remettre le client au centre de l’organisation. C’est vraiment le secteur qui a avancé le plus rapidement en termes de compréhension du client et d’optimisation de l’expérience.
Chez Microsoft, l’accompagnement est multiple. Nous proposons bien sûr l’accès à la technologie pour épauler les retailers dans leur transformation et la mise en place des nouveaux business models avec la technologie adéquate. Nous travaillons également sur la data client, avec le cloud Azure notamment. Celui-ci permet d’héberger les données et même d’agréger des écosystèmes de données venant de partenaires différents. Aujourd’hui, on ne peut en effet pas imposer à un retailer de travailler uniquement avec Microsoft. Tous travaillent avec une multitude de partenaires et de startups. Une des forces de Microsoft est justement de pouvoir travailler en écosystème. Nous proposons également un accompagnement organisationnel, soit via nos propres équipes conseil et innovation, soit en partenariat avec des agences conseil.
Nous travaillons sur la vision, l’apport des tendances et leurs applications. La question centrale n’est pas la technologie en elle-même, mais sa mise en place et son utilisation.
En termes d’agilité, Microsoft a également la capacité d’implanter des innovations rapidement et de déployer des projets à grande échelle. Et ce grâce à une couverture mondiale et des équipes pluridisciplinaires. Enfin, dernier point, Microsoft n’est jamais en concurrence avec les retailers. Ce qui n’est pas le cas d’autres acteurs qui proposent le même type d’accompagnement mais se positionnent aussi sur les mêmes typologies de services.