Smart city : « il faut s’intéresser à l’aspect politique et construire un cadre éthique»

Temps de lecture : 6 minutes

En vogue depuis une dizaine d’années, le concept de smart city ou ville intelligente - soulève un certain nombre d’interrogations. Propulsé sur le devant de la scène par les entreprises du numériqueil implique de repenser les modes de gestion de la ville grâce aux nouvelles technologies. Cynthia Ghorra-Gobin, géographe et directrice émérite au CNRS-CREDA nous partage sa vision du concept. Le tout, par le biais des sciences sociales. Elle a notamment coordonnée le dossier sur la smart city de la revue sciences sociales Quaderni #96,

À Toronto, c’est Alphabet, la maison mère de Google, qui s’est lancée dans la conception d’un quartier dit intelligent, Quayside. Il y a quelques semaines, le constructeur automobile nippon Toyota annonçait la construction d’une ville nouvelle au pied du mont Fuji, pour tester les technologies du futur. Mais quelle place donner à l’humain dans cette nouvelle manière de penser la ville ? Comment adapter nos organisations existantes à cette augmentation des échanges de données ?

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Cynthia Ghorra-Gobin

Géographe et directrice de recherche au CNRS-CREDA

Comment définissez-vous le concept de smart city ou ville intelligente ?

Je travaille sur la ville depuis bien avant l’arrivée de ce concept de smart city et je ne dirais pas qu’elle devient intelligente seulement maintenant. Si la ville a survécu aussi longtemps dans l’histoire, c’est justement parce qu’elle était déjà intelligentede part son organisation politique et commerciale, ou la mobilitésa circulation routière par exemple.  In fine, le concept de smart city correspond à l’optimisation technique du fonctionnement de la ville grâce à la maîtrise des données numériques. Cette optimisation technique est possible grâce aux entreprises du numérique.

Quand je parle de smart city, j’emploie le terme fiction.

À l’heure actuelle, le discours majoritaire est très enchanteur. On évoque beaucoup des caractéristiques comme la fluidité, la circulation des données et le mouvement. Une certaine image de la ville émane alors. Elle diffère beaucoup de celle que nous évoque la ville traditionnelle : l’architecture, les monuments ou les réseaux techniques. On pense efficacité, performance en temps réel. C’est donc une révolution dans notre manière d’envisager nos villes. C’est en même temps un discours complètement néo-libéral, qui est essentiellement porté par les entreprises du numérique à l’heure actuelle. Or, pour que ce concept devienne réalité, pour qu’il dépasse le stade de la fiction, il doit aussi s’intégrer dans les organisations politiques de manière responsable. C’est de cette manière que nous pourrons construire un imaginaire positif autour du partage des données.

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Quels sont les enjeux que posent les smart cities à nos sociétés ?

Premièrement, il est important d’éduquer l’ensemble de la population aux innovations numériquepour que toutes les parties prenantes en saisissent les tenants et aboutissantsC’est la condition pour un développement efficace de la smart city.
Deuxièmement, il faut prendre en compte la question extrêmement importante du partage des données. Nous allons nous-même produire et partager des données dans la ville, que les entreprises vont collecter et exploiterIl faut préciser dans quelles situations celles-ci vont être partagées. Et pour cela, les élus doivent être formés à négocier avec les entreprises.

En d’autres termes, il est techniquement possible de tendre vers une smart city. Il faut maintenant s’intéresser à l’aspect politique pour construire un cadre éthique et légal. Pour cela, il faut mettre le débat sur la table et préciser les contours du concept.
Un exemple ? Lorsque les entreprises numériques vont créer des cartes numériques pour circuler dans la ville, les enseignes qui vont davantage payer figureront mieux sur cette carte. Cela pose un problème. En effet, quand nous nous promenons dans la rue, nous avons la possibilité de voir l’ensemble de la ville et non pas un échantillon sélectionné. Cela devrait fonctionner de la même manière sur les outils numériques. Il faut donc être plus clair sur ce type de sujet.

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Un exemple de ville qui se rapproche de la smart city ? Quels impacts pour ses habitants ?

Toronto. Les chercheurs et les élus sont en train d’observer cette expérience et d’apprendreCette ville est aujourd’hui une figure emblématique du concept.
Concrètement, au sein de cette métropole, le quartier proche du laQuayside, friche industrielle de cinq hectares, avait besoin d’être revitalisé. Waterfront Torontoune entité réunissant la municipalité de Toronto et les gouvernements de l’Ontario et du Canada, a ainsi décidé d’en faire un quartier intelligent. Elle s’est donc associée avec Sidewalk Labs en 2017, une filiale d’Alphabet, dans le but de le transformer. 

Une multitude d’innovations sont ainsi proposées : des voitures autonomes, des feux tricolores qui s’adaptent au trafic en temps réel, des capteurs placés un peu partout pour suivre le remplissage des poubelles ou encore des caméras pour évaluer la nécessité de certains équipements urbainsMais face à une collecte de données toujours plus grande, les habitants ont commencé à se poser des questions sur le respect de leur vie privée. Entre craintes et mouvements citoyensla firme a dû restreindre son périmètre d’interventionUne décision finale doit désormais être prise en mars 2020 par le Waterfront Toronto pour valider ou non le projet. 

Ici, il est intéressant d’observer comment lpolitique s’est saisi du sujet pour lui donner un cadre acceptable pour la populationL’aspect technique n’est pour sa part pas un frein.

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Ce type de projet se limite-t-il aux grandes métropoles ? 

Si nous prenons le cas de la France, nous pouvons citer Dijon, dont la démarche est proactive. Le maire veut en faire une ville intelligente. Dans ce contexte, un contrat est signé entre Dijon et des partenaires privés pour lancer le projet « OnDijon» . La première étape consiste à créer un poste de commandement unique et partagé avec différentes communes du territoire. Inauguré en avril 2019, l’objectif est avant tout de faciliter la gestion de l’espace public en mutualisant les équipements urbains (les éclairages publics, les feux de circulation…) au sein d’un seul poste de commandement. Concrètement, ce projet est présenté comme un moyen de faire des économies sur la consommation d’énergie ou d’apporter plus de sûreté grâce à une meilleure coordination et à plus de transparence. Pour les citoyens, il se matérialisera par des nouveaux services offerts via leur smartphone.

Cela n’est donc pas limité aux mégapoles comme le démontre Dijon. Mais le projet ne sera pas aussi considérable que celui de Quayside par exemple. Inévitablement, la collecte de données sera moindre, évinçant ainsi certaines questions liées au respect de la vie privéeL’ampleur du projet détermine ces problématiques mais aussi les acteurs qui y sont rattachés. Aujourd’hui, c’est donc possible mais les édiles ne semblent pas en faire une priorité.  

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Quelle est la place de l’humain dans une smart city ? 

L’humain y a toute sa place, à condition de régler deux questions majeures. La première est celle de la sécurité des données personnellesEn effet, comment être sûr que l’entreprise qui pilote le projet ne peut pas revendre, coupler les données personnelles etc. ? Nous n’avons pas de garantie à ce sujet aujourd’huiC’est d’ailleurs le point majeur questionné par les habitants de Toronto, le géant américain Alphabet disposant déjà d’un grand nombre de données personnelles. La seconde question à régler est celle de la cybersécurité. En d’autres termes, existe-t-il une possibilité que des hackers s’attaquent au système ? Les entreprises qui opèrent dans ce domaine ainsi que les acteurs politiques se doivent de nous rassurer sur ces deux sujets. 
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Ensuite, pour qu’elles soient adoptées par les habitants, pour qu’ils en perçoivent la valeur, il faut adapter les innovations et les applications aux particularités locales. Une ville est avant tout un territoire avant de devenir une ville numérique. Les entreprises ne doivent pas oublier cela. C’est à cette seule condition qu’elles pourront renforcer leur lien avec les villes pour mieux prospérer. Pour avancer dans l’aspect technique, il faut donc avancer en premier lieu dans l’aspect politique. C’est ainsi que nous pourrons réellement nous enrichir du numérique et nous rapprocher du concept de smart city 

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