Renault Trucks passe à la vitesse supérieure dans la réalité mixte en utilisant HoloLens sur les chaines de montage, et pas uniquement en bureau d’études, grâce à un partenariat avec Immersion. Résultat : un contrôle qualité amélioré et plus rapide. Retour sur un choix concluant.

Bertrand Félix
Leader Augmented Reality, Volvo Group
Une industrie disruptée, mais toujours en bonne santé. Bien que bousculé, le marché automobile français a augmenté de 2,2% sur un an, grâce à trois facteurs majeurs : l’internationalisation, la montée en gamme et la diversification. Pour Renault Trucks, qui appartient au groupe Volvo, l’année 2017 s’est traduite par une augmentation des ventes, avec près de 50 000 véhicules facturés, en hausse de 4 %, et même de 7% sur le marché des camions de plus de 6 tonnes.
Pour autant, pas question pour le constructeur de se reposer sur ses lauriers, à l’heure où de nouvelles technologies révolutionnent le marché. Véhicules autonomes, véhicules connectés, électro-mobilité : de nouvelles possibilités qui s’accompagnent de nouvelles attentes et exigences de la part des consommateurs. L’industrie automobile doit s’adapter. « La plupart des constructeurs automobiles font face à un challenge » explique Bertrand Félix, Leader Augmented Reality au sein du groupe Volvo. « Pour nous, cela signifie un nécessaire shift de compétences. Pour passer du diesel à l’électrique par exemple, et plus globalement pour embarquer dans la transformation numérique afin que nos équipes proposent de meilleurs produits. »
Parmi ces produits innovants, on compte notamment :
- des véhicules électriques ou hybrides, qui consomment moins de carburants fossiles, s’adaptent aux nouvelles réglementations et améliorent l’image des constructeurs ;
- des véhicules connectés, répondant aux attentes des consommateurs ;
- et des véhicules autonomes, qui constituent un futur marché porteur.

L’ambition : agilité, innovation et contrôle qualité amélioré
Un challenge ambitieux pour cette marque du groupe Volvo, qui emploie 100 000 personnes, possède des usines dans 18 pays et commercialise des camions dans plus de 100 pays.
« Ce ne sont pas les technologies qui vont permettre le shift, ce sont les cas d’usage. C’est pour cela que nous avons une politique d’innovation volontaire, variée, et que nous nous lançons pleinement dans la réalité mixte. On y investit de l’énergie, de l’argent, du temps et des compétences, et on en attend un fort retour sur investissement ».
Jusqu’à récemment, réalité virtuelle et réalité mixte étaient principalement utilisées par les bureaux d’études, pour aider ingénieurs et designers à concevoir de nouveaux modèles. Mais grâce à la société bordelaise Immersion, la réalité mixte a désormais conquis les chaines de production de Renault Trucks, où elle est désormais utilisée à 80% pour du manufacturing.
« Contrairement à nos concurrents, nous ne sommes pas sur une logique de plateforme mais de diversité. Renault Trucks ne produit qu’en fonction des commandes, « based on needs ». Sur notre usine de moteur de Vénissieux, 90% du moteur est standard, le reste est extrêmement varié, volatile. Le plus important pour nous, c’est la flexibilité: pouvoir adapter notre production n’est pas optionnel mais indispensable ».
Renault Trucks fabrique en effet une gamme importante de véhicules, de 2,8 à 120 tonnes, avec pour chaque modèle de camion de très nombreuses variantes, que ce soit pour le chassis, le moteur, les aménagements, la couleur… il existe par exemple plusieurs milliers de teintes, rien que pour les cabines!
« Malgré cette complexité, l’objectif est d’atteindre du premier coup le niveau optimal de qualité, d’où l’importance du contrôle qualité. » Renault Trucks cherchait donc à mieux produire, à améliorer la qualité des pièces fabriquées et à former plus rapidement les opérateurs. « Ces opérateurs étaient confrontés au problème classique des listes de contrôle qualité : on pose la feuille pour vérifier une pièce avec ses deux mains, on la reprend pour cocher la liste et étudier la pièce suivante, on la repose, on la reprend… C’est une charge cognitive inutile et trop de temps perdu. C’est pour ça que nous avons pensé à HoloLens. »
HoloLens au service du contrôle qualité
Les objectifs étaient précis : permettre aux collaborateurs de garder les mains libres pendant les opérations de contrôle qualité ; et leur apporter des informations supplémentaires.
Renault Trucks a donc commencé par créer un prototype, grâce à une équipe pluridisciplinaire de vingt salariés et à son partenaire historique, Immersion.
Le prototype contient une variante de moteur et modélise certains points de contrôle – 40 au total. Chacune des pièces du moteur, ainsi digitalisée et superposée au moteur réel, peut être vue séparément. Cela permet de diriger l’opérateur vers certaines parties du moteur, pour qu’il valide une à une les étapes du processus de qualité.
« En fonction du contrôle nécessaire, l’opérateur peut faire apparaître les pièces qui l’intéressent et même les gestes et manipulations à effectuer. Il reste guidé tout au long des opérations : des zones au sol lui indiquent où se placer, la partie concernée du moteur est entourée, la pièce virtuelle se superpose sur la pièce réelle, avec des indicateurs en rouge et en vert pour montrer ce qui est souhaité. »

L’opérateur peut également, tout en gardant les mains libres, recevoir des éléments d’aide à la décision: des plans, des instructions de vérification, ou des conseils de montage. Avec une liberté totale de mouvement, puisque grâce à ses multiples capteurs, HoloLens offre aux utilisateurs la possibilité de tourner autour des hologrammes et du moteur.
Les bénéfices sont indéniables :
- - Contrôle qualité facilité et en temps réel ;
- - Qualité améliorée grâce à la réduction du nombre d’erreurs ;
- - Gain de temps substantiel ;
- - Réduction du temps de formation et de la charge cognitive des opérateurs ;
- - Flexibilité accrue.
Ces avantages ont immédiatement séduit les opérateurs, qui bénéficient d’une aide supplémentaire pour les opérations complexes tout en gardant la main sur la prise de décision. Et la durée des opérations – 8 mn avec le papier – a pu être sensiblement réduite grâce à HoloLens.
Demain, de nouveaux usages
« Ce projet nous a aussi permis d’identifier des travaux à mener pour améliorer notre chaine de production. En fait, rajouter du digital à cette étape permet de créer une chaine numérique complète, depuis le bureau d’études jusqu’à la sortie de l’usine, là ou avant on avait une liste papier. Désormais, on boucle la boucle. »
Une fois le prototype conçu, un pilote a donc rapidement été lancé à l’usine de Vénissieux. Un déploiement à plus large échelle est prévu dès 2019–2020, d’abord dans les autres usines de moteurs de Renault Trucks puis dans celles fabriquant d’autres pièces de camions.
HoloLens devrait aussi être mis à contribution pour d’autres usages : aide au montage, à la maintenance et à la réparation des véhicules, formation des opérateurs, etc.
Car Renault Trucks est convaincu par l’apport de cet ordinateur holographique, autant que par la méthode agile utilisée pour le déployer.

Change management : comment mener un tel projet ?
Le constructeur a d’abord formé une équipe pluridisciplinaire de vingt salariés, bâtie comme une start-up, avec des collaborateurs venus de différents services et qui s’étaient tous portés volontaires. Ils ont été regroupés sur un lieu unique, à l’écart des autres installations. 5 cas d’usages ont ensuite été lancés, simultanément, comme l’aide à l’assemblage, l’aide au contrôle qualité, le picking logistique ou encore le service l’après-vente.
« Contre toute attente, le pilote le plus rapidement utilisable a été celui de Quality Control. On avait volontairement choisi la « station-pilote » la plus complexe en termes de variances. Ensuite on a mesuré, étudié les statistiques, pour quantifier les gains de rapidité, de qualité et de flexibilité. Puis, les représentants des opérations, qui faisant partis de l’équipe, ont rapidement pu avancer sur la base d’un prototype. »
En retrouvant leurs services d’origine, ces collaborateurs se sont fait les avocats de cette transformation, en expliquant à leurs collègues l’intérêt du prototype.
« Nous sommes convaincus que l’innovation se fait à plusieurs. Il faut itérer, tester, explorer… Intégrer les solutions sous forme de pilote, et en tirer les statistiques pour ensuite déployer ces solutions sous une forme industrialisée ».
Une expérience enrichissante, partagée par Bertrand Félix dans la vidéo ci-dessous:
Cette politique d’innovation volontaire permet d’entretenir la dynamique du constructeur. Renault Trucks a ainsi recruté plusieurs centaines de salariés (dont 300 opérateurs) et ouvert 35 nouveaux points de vente et de service en 2017. Le groupe s’attelle aussi à la commercialisation d’une gamme de camions 100 % électriques, avec une ligne dédiée dans son usine de Blainville-sur-Orne (Calvados).