A cheval entre présentiel et télétravail, le management hybride est un exercice d’équilibre. Comment impulser ce nouveau management, plus humain et éclairé par les données ?
Après une année 2020 sous le signe du télétravail, les entreprises accélèrent une tendance bien engagée : un mode de travail hybride, entre télétravail et présentiel. Un modèle gagnant-gagnant lorsqu’il se passe bien.
Pour les employés, il est synonyme de plus d’autonomie et de flexibilité. Pour les entreprises, il permet un relâchement de la pression immobilière et des coûts associés. Et envoie un signe de confiance aux employés !
Les outils sont prêts, à l’image de Teams dont le nombre d’utilisateurs ne cesse de croître. Ne reste plus que les usages. « L’adoption des bonnes pratiques et la maturité digitale sont des enjeux essentiels », prévient Arnaud Forgiel, Senior Digital Advisor chez Microsoft. Avec Franck Szabo, Principal Digital Advisor également chez Microsoft, les deux experts partagent leurs conseils pour un management (vraiment) hybride, agile et solide.
Lire aussi 3 futurs pour le travail
1. Privilégier la transparence dans la définition de l’équilibre entre présentiel et distanciel
Pour les managers, le travail hybride les amène à revoir leur copie
Quelles tâches doivent être faites en présentiel ou à distance ? Quand faire venir les employés ? Doit-on imposer des jours de présence fixes ou donner une liberté totale ? Doit-on rassembler tous les membres de l’équipe les mêmes jours pour travailler la cohésion d’équipe et s’aligner, ou fonctionner en roulement pour avoir des temps plus personnalisés ?
Beaucoup de questions, mais … « Il n’y a pas de règle précise sur ce sujet, explique Arnaud Forgiel. Cela dépend de beaucoup de choses : le style du manager, la nature du métier, la taille de l’équipe, la culture de l’entreprise, les conditions de travail à domicile de chacun, etc. Ce qui est sûr que tous ces critères doivent être pris en compte pour mettre en place le meilleur mode de fonctionnement possible ».
Le point clé sera la transparence
Pour qu’il y ait un sentiment d’égalité parmi les membres d’une même équipe. « Et il est certain qu’il est nécessaire de réunir l’équipe de manière occasionnelle pour garder le lien. Même si ces moments seront plus axés sur la collaboration et la cohésion d’équipe que sur la productivité » souligne l’expert.
Cette définition de l’équilibre d’un travail en mode hybride peut même s’appuyer sur une démarche rigoureuse, conduite à l’échelle de l’entreprise, dont voici un exemple ci-dessous :
2. Travailler la confiance, la responsabilisation et repenser le suivi de la performance
Travailler la confiance
« En travail hybride, les managers n’ont pas d’autre choix que d’accorder une plus grande confiance à leurs collaborateurs : lâcher prise sur les horaires, éviter le micro-management… », reconnaît Franck Szabo. Et de poursuivre : « C’est même le référentiel de mesure de la performance qu’il faut revoir. »
Créer de nouveaux KPIs de suivi
Le nombre d’heures passées au bureau ne sera plus un KPI valable (il ne l’était d’ailleurs que pour les mauvais managers à vrai dire…). Il faut donc trouver dès aujourd’hui d’autres moyens pour tracker la performance et éviter d’éventuelles dérives… Ces KPIs de performance doivent aussi être clairement définis et revus de manière fréquente (plusieurs fois par an si possible), pour que la confiance soit totale.
Repenser le rôle du manager
A l’ère de la big data, une réflexion sur le rôle de manager devient essentielle. « Si cela se résume à faire du tracking, le manager risque de perdre son leadership, souligne Arnaud Forgiel. Il faut une prise de conscience sur le besoin authentique des salariés. » Le manager ne doit donc pas être un « manager robot » dont l’activité est consacrée à la lecture de données et au remplissage de dashboards, mais apporter de la valeur à la remontée d’informations.
Quitte à creuser et interroger les processus de travail. « Il faut poser la question Comment as-tu fait ? Rentrer dans le détail de ce qui est produit ; ne pas traquer mais être force de proposition, porter une vision », soulignent les experts. Il faut capitaliser le retour d’expérience.
Cela permettra aussi d’éviter le micro-management. « L’important, c’est de saisir cette opportunité pour mieux responsabiliser les collaborateurs et les réaligner sur les objectifs attendus, souligne Franck Szabo. Peu importe comment et où vous avez travaillé, l’important c’est la qualité du travail effectué ».
Lire aussi Télétravail : quelques conseils aux entreprises
3. (Re)donner du sens et des priorités claires
Fixer des priorités
Le corolaire de la responsabilisation des collaborateurs est la fixation de priorités claires et de tâches ayant plus de sens. En effet, notamment pour les activités dites « de process » à forte teneur administrative, il existe avec le télétravail un risque d’enfermement dans une routine qui n’est plus « compensée » par une sociabilisation avec les collègues au bureau.
Focaliser les collaborateurs sur les activités à plus forte valeur ajoutée
Des technologies peuvent y contribuer, par exemple en automatisant certaines tâches répétitives (citons ici l’exemple des technologies de RPA – Robotic Process Automation).
Ne pas oublier les échanges en one-to-one !
Donner du sens passe également par un échange entre les employés et leurs managers. Les experts soulignent l’importance des face-à-face, en présentiel comme en distanciel, pour aider à faire le tri dans les priorités et notamment limiter le phénomène largement constaté d’allongement des durées de travail hebdomadaire quand on est en distanciel.
« On a remarqué que pour les collaborateurs ayant une fréquence plus forte de one-to-one avec leur manager, l’augmentation de la durée de travail hebdomadaire en distanciel est moins forte (+1,5h contre +3h) que pour ceux ayant moins d’interaction privilégiée avec leur responsable. Ils ont été moins submergés. Ce qui laisse penser que le manager a réussi à donner du sens à la tâche à réaliser, à prioriser et à rendre le travail plus fluide. »
4. Renforcer les rituels d’équipes et le partage d’information
Avec la réduction des échanges informels au bureau, le risque pour les équipes et leurs managers est une perte de fluidité dans le partage d’information, une perte de cohésion voire une désocialisation de certains collaborateurs.
Pour prévenir cela, les rites d’équipes doivent être renforcés (par exemple cadencer plus strictement la semaine de travail avec idéalement un team meeting de début de semaine + un moment plus informel de type « remote coffee ») et le partage de l’information plus structuré et systématique.
Les managers disposent d’un nombre croissant de solutions pour les aider dans cette tâche :
- Passer les consignes et documenter le travail sur des plateformes comme Trello ou Planner.
- Dans un contexte hybride, il convient également de savoir qui est là ou non avec des outils de présence. Cela permet de répartir le travail et de suivre la qualité du processus.
- Workplace Analytics permet ainsi d’analyser les données d’équipe et mesurer les modes de travail. « On peut par exemple repérer s’ils font beaucoup de réunions, s’ils font des réunions en dehors des horaires de travail, s’ils ont des semaines à rallonge». Et adapter.
Adapter les types de réunions au format numérique : tableau d’équivalents numériques aux réunions physiques
Type de réunion physique | Equivalent numérique |
Machine à café | Discussion asynchrone sur Teams/IM, en incluant idéalement un canal « social » |
1x1s (managers) | Discussion video, e‑mail de statut |
1x1s (mentors) | A prioriser durant les périodes de présence sur site |
Session de travail en petit groupe | Tableau blanc numérique (intégré dans Teams), Mural, etc… |
Réunions d’avancement | Réunion vidéo, en prenant soin de demander un partage des états d’avancement et attentes de chacun en amont |
Prise de décision | Réunion vidéo avec un agenda clair, accompagné de lectures préalables. S’assurer d’un temps de parole correctement réparti (attention notamment à l’effet de faux consensus) |
Sensibilisation/partage d’information | Peut être effectué de façon asynchrone, avec enregistrement puis partage d’une vidéo |
Team building | Réunion physique à privilégier mais prévoir des moments réguliers de socialisation numérique à distance |
Autre conseil : lors d’une visio, reculer le champ de vision pour pouvoir montrer ses mains. « Il a été prouvé que la qualité d’interaction est grandement améliorée lorsque l’on a accès à la communication non verbale », fait valoir Franck Szabo. Il conseille également d’investir dans un rehausseur de bureau. Cela permet de faire ses réunions debout, de se dégourdir les jambes et de contrebalancer les effets sur la santé d’une position assise trop longue.
Ces rituels et bonnes pratiques ne suffisent pas toujours. Si l’on sent qu’un employé décroche, il faut en parler. « Nous sommes en hybride, nous ne sommes pas obligés d’être en distanciel, ça ne convient pas à tout le monde. 20% des salariés ne veulent pas de télétravail et il ne faut pas les forcer. » La porte du bureau doit donc rester ouverte. Chaque manager doit pouvoir organiser le temps et le lieu de travail en fonction des besoins et demandes de ses équipes. Pour les experts, une règle prévaut : « Il ne faut pas imposer le télétravail comme un dogme. »
Lire aussiLes outils collaboratifs changent le travail
5. Marquer l’empathie et construire un management humain
Vous avez remplacé vos laconiques « cordialement » par un « prenez soin de vous » ? Vous avez souhaité à vos collaborateurs que « vous et vos proches allez bien » ? Dans ce regain d’empathie, vous n’êtes pas seul. Et cela a sans doute été salvateur.
Alors que les quelques minutes précédant une réunion ou les pauses café ont été drastiquement transformées, cela a été compensé par une expérience partagée et un parachutage dans l’environnement familial de ses collègues. « On est entré dans l’intimité des gens, on a vu leurs enfants passer, faire coucou… Le côté humain ressort énormément, on appuie sur les marques de gentillesse, on est moins down to business. » Une tendance partie pour durer.
6. Prévenir la fatigue numérique
Faire des pauses
Les managers doivent encourager ce type de comportement pour relâcher le corps, mais aussi l’esprit ! Prévoir des moments de pause dans son agenda, planifier des réunions d’une heure qui ne dureront que 3/4 h afin d’avoir une zone tampon ou se ré-approprier le temps de trajet pour relâcher le mental.
Identifier les risques de burn out
Les données disponibles peuvent aussi aider les managers. En utilisant les informations de contexte d’une conversation ou d’une réunion (l’heure, la date, les personnes présentes, etc.). il est possible de mettre en place un tableau de bord pour identifier certaines tendances ; créer une alarme si un employé travaille trop par exemple. « Ça serait particulièrement significatif dans un pays comme le Japon où les entreprises ont l’obligation de signaler des risques de burn out», ajoute Arnaud Forgiel. Ou pour repérer si un employé ne communique plus avec ses collègues,ce qui pourrait être un signe avant-coureur d’isolement », souligne Frank Szabo.
Ne pas être intrusif
Sur la bonne utilisation des données, la CNIL veille au grain. « C’est un élément fondamental que nous intégrons bien évidemment dans nos solutions. Le but n’est absolument pas un flicage, mais une remontée d’information (principalement anonymisée) permettant d’aider le manager à suivre son équipe » précise Franck Szabo.
7. Redéployer les dépenses de l’immobilier vers l’environnement de travail numérique
« On ne fera pas moins d’écran, mais mieux! » prévient Arnaud Forgiel. « Il y a un véritable enjeu au niveau de l’équipement et il est grandissant. Il faut que les entreprises reconsidèrent la chasse aux coûts. » Du bon matériel et en particulier un grand écran pour le confort visuel. Des enceintes de bonne qualité aussi, pour reproduire le plus fidèlement le timbre de voix et rendre les conversations plus personnelles.
Avec une estimation de gain sur les frais immobiliers parfois estimée à 20%, les entreprises ont tout intérêt à réinjecter une partie de cette somme dans l’équipement numérique de leurs collaborateurs.
Lire aussiA quoi ressemblera le travail après la crise du Covid-19 ?
8. Veiller à l’accueil des nouvelles recrues
Imaginez arriver dans une nouvelle entreprise… depuis votre salon. Une situation dans laquelle se sont retrouvées de nombreuses nouvelles recrues depuis mars. « C’est un vaste sujet», reconnaissent les deux experts.
Lorsqu’un nouveau arrive, il doit accéder à de l’information et à des gens. La difficulté est qu’en télétravail, on ne peut pas se tourner vers son collègue pour dénouer un problème. « Ce qui pouvait être réglé en 10 minutes peut prendre trois semaines », ajoute Franck Szabo. « Il faut donc trouver comment développer rapidement le réseau d’un nouveau venu. On travaille pour accélérer cet aspect », promettent-ils.
« L’enjeu est de créer le jumeau numérique de l’entreprise », analyse Arnaud Forgiel. Demain, vous passerez peut-être votre premier jour de travail de chez vous, avec des HoloLens sur le nez, à visiter le jumeau numérique de l’entreprise et à rencontrer vos nouveaux collègues dans la réalité virtuelle. La technologie existe pour proposer cette immersion virtuelle et proposer une expérience proche de l’immersion naturelle… Une option intéressante si le confinement venait à durer, ou de manière plus pérenne, pour des équipes multi-sites par exemple.
En resumé
Qu’est-ce que le travail hybride ?
Il s’agit d’un travail mélangeant présentiel et distanciel. Cela suppose que l’employé ou l’entreprise organisent les tâches à accomplir en fonction de la présence dans les locaux ou du télétravail des collaborateurs.
Comment prévenir la fatigue numérique en travail hybride ?
Il existe quelques principes simples. Pour les salariés, il est nécessaire de prévoir des pauses. Pour les managers, il s’agit de veiller sur l’état de fatigue de son équipe, notamment grâce aux données.
Comment accueillir de nouveaux collaborateurs en travail hybride ?
Demain, l’onboarding se fera peut-être à distance ! Grâce aux HoloLens, on pourra visiter le jumeau numérique de l’entreprise et à rencontrer ses nouveaux collègues dans la réalité virtuelle.