Adieu silicium, hello ordinateurs quantiques 3/3

Temps de lecture : 9 minutes

David Rousset
David Rousset

Un mot sur l’auteur :

Senior Program Manager chez Microsoft, David Rousset est membre du team DX Corp TED, une division en charge de l’évangélisation et des relations avec les développeurs.

Il est également co-auteur de babylon.js and vorlon.js.

Cet article a été initialement publié sur son blog.

Suite et fin du passionnant dossier de David Rousset consacré aux ordinateurs quantiques. Retrouvez ici la première partie et la deuxième partie.

L’ordinateur quantique

Le qubit

Le fameux ordinateur quantique repose donc sur les principes balayés précédemment afin de mettre au point le qubit, pour quantum binary digit, l’analogue quantique du bit.

Bon, gros problème : j’ai été incapable de trouver une explication totalement claire de son fonctionnement et, plus embêtant, de son utilisation.

Malgré tout, commençons par l’article Wikipedia qui lui est dédié : https://fr.wikipedia.org/wiki/Qubit

On nous explique que « le qubit se compose d’une superposition de deux états de base, par convention nommés |0> et |1> » et qu’« un état qubit est constitué d’une superposition quantique linéaire de ces deux états ». Jusque-là, rien de bien surprenant puisque cela reprend le principe de superposition et de spin vu précédemment.

 

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Par ailleurs, on apprend toujours aussi logiquement, d’après les principes vus avant, que l’on ne peut copier la valeur d’un qubit vers un autre puisque cela impliquerait de lire sa valeur, et donc de réduire son état quantique. On peut cependant transporter son état sur un autre qubit grâce à la téléportation quantique basée sur le principe d’intrication quantique toujours décrit également dans le chapitre précédent.

Alors tout ça me permet de comprendre à peu près la structure d’un qubit mais cela ne m’aide pas pour autant à avoir la moindre idée de comment on exploite cela pour créer de l’information ou pour calculer quoi que ce soit !

Je vais quand même vous partager quelques articles qui tentent d’expliquer et qui m’ont un peu aidé :

  • La révolution quantique de demain. Un petit extrait : « Ce qubit peut ainsi faire 2^4=16 calculs en un seul coup. Le gain est exponentiel car avec 4 bits classiques, on ne pourrait faire qu’un seul calcul! Dans un ordinateur classique, on est obligé d’utiliser des milliards de transistors pour réaliser de nombreuses opérations rapidement. Avec un ordinateur quantique, il suffirait de 300 qubits pour obtenir 2^300 résultats, ce qui est plus que le nombre de gouttes d’eau dans nos océans, ou encore, plus que le nombre d’atomes dans notre univers observable ! ». Superbe « punch line » mais aucune explication réelle du pourquoi du comment.
  • Qu’est-ce qu’un ordinateur quantique ? qui tente à nouveau d’expliquer un peu mieux mais qui nous sort aussi de grandes envolées cosmiques du genre : « Or, il pourrait bien être possible d’avoir des ordinateurs avec une architecture de 50, 100, 300 qubits, et donc d’avoir un ordinateur quantique 2^50, 2^100 et donc 2^300​​ fois plus rapide qu’un ordinateur normal ! » ou « le facteur de rapidité correspondant à 2^300 est plus grand que le nombre d’atomes dans l’univers. C’est un nombre immense et un ordinateur quantique de ce calibre serait donc immensément plus rapide qu’un ordinateur normal ». A nouveau, on ne sait pas trop pourquoi mais comme on dit par chez moi, ça claque sévère !

Ce que j’en retiens, sans vraiment comprendre totalement pourquoi :

  •  La puissance d’un ordinateur quantique augmente potentiellement de manière exponentielle en fonction du nombre de qubits. En effet, sa puissance de calcul double à chaque fois que l’on lui adjoint un nouveau qubit.
  •  Le principe du qubit permet d’envisager des calculs parallèles de manière incroyablement plus rapide que les architectures informatiques actuelles.

Par ailleurs, il faut savoir qu’il est extrêmement difficile de stabiliser ces fameux qubits. Certains laboratoires ont réussi à fabriquer des processeurs à base de quelques un d’entre eux. Cependant, leur durée de vie n’est souvent que de quelques secondes. En effet, les particules quantiques sont très sensibles au monde qui nous entoure comme le magnétisme et la lumière.

En termes de fabrication « concrète » d’un qubit, j’ai pu trouver ce dossier particulièrement intéressant : Fabrication d’un ordinateur quantique qui décrit les différentes approches actuelles. Ce dossier est d’ailleurs l’un des meilleurs que j’ai pu lire sur l’ordinateur quantique d’une manière générale. Je vous en conseille la lecture complète. On y apprend ainsi que la difficulté physique principale est de gérer la décohérence des états quantiques.

Allez, essayons maintenant d’en savoir davantage sur l’ordinateur quantique en lui-même.

D‑Wave

Aujourd’hui, il semblerait qu’un seul modèle abouti et commercialisé de l’ordinateur quantique existe. Il est fabriqué par la société D‑Wave Systems qui aurait réussi à fabriquer une machine stable alignant jusqu’à 2000 qubits ! C’est d’ailleurs une source de débats et d’interrogations fréquentes chez les experts dans le domaine car la quasi-totalité des labos peinent à aligner plus qu’une dizaine de qubits de manière stable.

Pour continuer sur le travail de vulgarisation, je vous invite à regarder la vidéo suivante : 10 CHOSES à SAVOIR sur l’INFORMATIQUE QUANTIQUE. Bien que souvent très approximative, elle balaie, en moins de 20 minutes, l’ensemble des thématiques abordés dans cet article. On y apprend des choses rigolotes sur le D‑Wave :

  •  L’ordinateur D‑Wave se trouve dans un caisson blindé qui diminue de 50000 fois le champ magnétique terrestre
  •  Il fonctionne à une température de 0,015° Kelvin, soit ‑273,135° Celsius. Soit plus froid que l’espace lui-même qui se trouve à 3°K ! Donc très proche du 0 absolu.
  •  Comparons maintenant la consommation énergétique du D‑Wave 2X face au supercalculateur Pangea de Total qui était l’un des plus puissants au monde début 2016 avec 6,7 pétaFLOPS au compteur. Le Pangea nécessite 4,5 MégaWatts là où le D‑Wave 2X de 1000 qubits n’a besoin que de… 25000 Watts, soit 180 fois moins.

 

Certains clients connus de D‑Wave sont Google, la NSA et Lockheed Martin. La NSA a d’ailleurs annoncé qu’elle avait stoppé tous ses investissements sur les technologies non quantiques. On va comprendre pourquoi juste derrière.

Algorithmes et programmation

Vous l’aurez compris, un ordinateur quantique étant radicalement différent d’un ordinateur classique, la manière de concevoir un algorithme l’est tout autant.

Si je reprends l’émission de France Inter, Pascale Senellart s’est tentée à une explication que j’ai trouvée très intéressante mais perturbante (comme toujours en quantique). Elle pose le problème d’un algorithme chargé de trouver le moyen de sortir d’un labyrinthe. Si un être humain essaie de sortir du labyrinthe, ou si vous essayez d’envisager un algorithme de sortie pour un CPU classique, vous allez surement tenter de parcourir le labyrinthe en profondeur jusqu’à trouver le chemin, unique, vers la sortie. En d’autres termes, vous allez essayer d’aller à gauche, de voir que cela ne marche pas, puis d’aller à droite tout en prenant soin de noter vos réussites et erreurs. Bref, au final, vous allez sortir du labyrinthe en ayant la capacité d’expliquer le chemin que vous avez parcouru. Un ordinateur quantique va lui calculer en parallèle toutes les possibilités, il va ensuite vous dire qu’il est sorti du labyrinthe mais ne sera pas capable de vous dire comment il l’a fait !

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D’après ce que j’ai compris, cela semble être lié au fait que les algorithmes quantiques sont probabilistes. Ils donnent la réponse correcte avec une haute probabilité et la probabilité d’échec peut être diminuée en répétant l’algorithme.

Au final, l’article le plus complet que j’ai pu trouver sur un calculateur quantique est sans conteste celui de Wikipedia : calculateur quantique. Il couvre absolument tout, de manière très détaillée. Il n’est pas particulièrement facile d’accès mais je permets d’extraire 2 citations intéressantes :

« Les calculateurs quantiques demandent des techniques de calcul différentes de la programmation, mais utilisant beaucoup l’algèbre linéaire classique pour conditionner et traiter simultanément des ensembles de données liées. » … « Il ne se prête donc a priori qu’aux calculs dont la complexité réside dans la combinatoire. On trouve ces problèmes dans l’ordonnancement et les autres calculs de recherche opérationnelle, en bio-informatique, et bien entendu en cryptographie. Le faible volume des entrées-sorties par rapport à celui du traitement semble rendre toutefois plausible leur usage à distance un jour à travers le réseau Internet. »

Les algorithmes quantiques

Je n’ai entendu parlé que de 2 algorithmes quantiques principaux :

  • Algorithme de Shor permettant de factoriser rapidement un entier naturel en nombres premiers. Pratique pour casser RSA, le moyen de chiffrement considéré le plus sûr aujourd’hui.
  • Algorithme de Grover permettant de chercher dans une liste.

C’est le premier qui est le plus célèbre bien évidemment et qui intéresse au plus haut point la NSA. En effet, le niveau de protection du chiffrement actuel repose sur le fait qu’il est virtuellement temporellement impossible pour un ordinateur classique de casser la clé. Cela demande en effet de pouvoir factoriser la clé publique en produit de nombres premiers.

Avec les clés actuellement utilisées, il faudrait des milliers d’années pour la casser. Avec l’algorithme de Shor exécuté sur un ordinateur quantique comme le D‑Wave, cela est censé être fait en quelques minutes. Vous comprenez maintenant mieux pourquoi la NSA s’y intéresse de près. Heureusement, il y existe la cryptographie quantique pour palier à cela, mais c’est encore très loin d’être exploitable.

Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est que les algorithmes applicables à l’ordinateur quantique sont très différents de ceux que nous avons l’habitude de voir et surtout pour l’instant très peu nombreux.

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C’est pour cela que je trouve absurde de tenter de comparer la vitesse d’exécution d’un ordinateur classique avec un ordinateur quantique de manière absolue. Lorsque vous lisez qu’un ordinateur quantique est 2^300 plus puissant qu’un ordinateur classique, c’est en grande partie faux. Sur l’algorithme de Shor, cela apparaît évident. Mais aujourd’hui, un ordinateur quantique est incapable d’utiliser la quasi-totalité des algorithmes fonctionnant parfaitement sur un ordinateur classique. Peut-être qu’un jour, nous arriverons à créer un ordinateur quantique « générique » capable de fédérer les 2 mondes actuels mais il n’y a aucune certitude.

L’autre possibilité, actuellement plus probable, est que les 2 seront complémentaires. Nous continuerons à avoir des ordinateurs portables et des smartphones pour les tâches classiques et nous aurons probablement des ordinateurs quantiques pour des tâches impossibles à réaliser pour un ordinateur classique. Mais l’inverse sera sûrement vrai, un ordinateur quantique ne pourra se substituer à un ordinateur classique sur certaines opérations.

Pour résumer, voici une citation (dont je ne trouve malheureusement plus la source) qui m’a paru bien résumer la situation : « L’ordinateur classique est déterministe, l’ordinateur quantique est probabiliste »

Domaines d’applications

Les domaines d’applications théoriquement envisagés pour l’ordinateur quantique sont prometteurs :

  •  Le Machine Learning et plus spécifiquement le Deep Learning se prêtant parfaitement au côté probabiliste de l’informatique quantique.
  •  Pouvoir prévoir la météo de manière exacte.
  •  L’Intelligence Artificielle de manière plus générale, avec un jour une IA potentiellement « forte » ayant conscience d’elle-même.
  •  La Génomique
  •  Maîtriser la matière

Expérimenter l’algorithmique quantique

Si vous souhaitez tenter de comprendre l’algorithmique quantique, Microsoft, Google et IBM fournissent 3 projets pour « simuler » des qubits sur des ordinateurs actuels.

Côté Microsoft, le projet s’appelle LIQ| pour Language Integrated Quantum Operations Simulator : http://stationq.github.io/Liquid. Il a pour but d’aider au développement et à la compréhension de protocoles quantiques, d’algorithmes quantiques, de correction d’erreurs quantiques et de périphériques quantiques. Il utilise F# et simule un circuit de 30 qubits sur une machine équipée de 32 Go de RAM.

Côté Google, il y a un projet nommé « Quantum Computing Playground » : http://www.quantumplayground.net qui se trouve être une expérimentation Chrome basée sur WebGL. L’idée est de simuler, à l’aide du GPU, un ordinateur quantique de 22 qubits.

Enfin côté IBM, le projet s’appelle IBM Quantum Experience : https://www.research.ibm.com/ibm‑q/qx. Il vous permet d’exécuter, à travers le Cloud, des algorithmes quantiques et d’expérimenter ce qu’il est possible de faire avec l’informatique quantique.

L’approche de Microsoft

L’approche de D‑Wave est intéressante mais pour certains « la machine actuelle n’est pas un calculateur quantique général, mais optimisé pour un type de calcul nommé le recuit simulé ».

Les grandes entreprises comme Google, IBM ou Microsoft planchent donc toutes à trouver un moyen de créer un calculateur quantique général.

Microsoft a choisi une approche différente des autres suite à la découverte, en 2012, d’une particule appelée fermion de Majorana qui avait été théorisée en 1937. Cette particule permettrait de mettre au point un qubit dit topologique, plus stable car moins sensibles à la décohérence et plus prometteurs pour une fabrication industrielle de l’ordinateur quantique. Pour en savoir davantage, je vous invite à lire ces 2 articles :

Aussi, pour comprendre notre approche et son potentiel, je vous invite à regarder cette courte vidéo de Bernard Ourghanlian, le directeur technique et sécurité de Microsoft France :


Pour finir, sachez que Microsoft a tout simplement une division complète dédiée à la réalisation d’un ordinateur quantique qui se nomme Station Q. Vous pouvez en connaître davantage sur ces différents sites :

Vous y trouverez pléthores d’articles et vidéos passionnantes à découvrir.

J’espère que ce long et détaillé article vous aura aidé à mieux appréhender ce futur qui se précipite depuis quelques mois. L’informatique quantique semble être incontournable pour continuer notre course à la puissance de calcul et à la fabrication de l’IA. Il existe d’autres approches moins médiatiques comme les processeurs neuromorphiques. Par exemple, IBM a réussi à reconstituer un cerveau numérique de rongeur avec 48 puces neuromorphiques. Mais cela est une autre histoire…

Un article de David Rousset, également publié sur son blog.

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